Les eaux du lac Saroir se faisaient tant l'écho du ciel nocturne ce soir-là qu'Idril ne savait plus très bien où commençait la terre et où finissait le firmament... Seuls les occasionnels frémissements de l'onde permettait de distinguer le ciel d'un bleu velours du miroir liquide dans lequel il se reflétait. L'elfe assise sur une pierre à quelques mètres seulement de l'eau profitait du calme et de la sérénité de l'endroit... Elle ne s'éloignait pas souvent de son mari ou de ses chevaux mais parfois la promiscuité imposée par leur mode de vie nomade lui pesait par trop et il lui fallait prendre de la distance. Lorsque cela arrivait, Eladar se contentait généralement de lui renouveler des consignes de prudence avant de la laisser partir. Leur séparation ne durait jamais bien longtemps puisque sitôt qu'Idril se sentait à nouveau en paix avec elle-même et avec le monde, elle revenait au galop vers cette existence sobre et saine qu'elle menait depuis plusieurs millénaires maintenant. L'équilibre. S'isoler ainsi était sa façon de parvenir à l'équilibre. Ôtant ses bottes de cavalière, laissant Xian entravée pâturer à sa guise dans l'immense prairie constituée par Ellyrion, elle s'avança en silence jusqu'à la rive. S'arrêtant, elle fixa un moment l'eau qu'elle s'apprêtait à troubler avec une pointe de regret mêlé de culpabilité. Finalement, son envie prit le dessus. Elle se pencha d'un mouvement souple pour relever les jambes de son pantalon de peau tannée à hauteur de ses genoux dévoilant des mollets fins à la peau diaphane avant de s'avancer brusquement dans l'eau.

Les flots du Lac de Saroir étaient connus pour leur limpidité exceptionnelle. À la seconde où Idril y entra, elle nota mentalement qu'il était nécessaire d'y ajouter leur température polaire. Flanchant un instant elle se retint de pousser un petit cri de douleur comme le froid mordait sa peau. Respirer. Il suffisait de respirer et de se détendre. Le contraste entre l'air et l'eau était certes difficile à supporter les premières secondes mais l'elfe s'aperçut qu'il n'était finalement pas si difficile de s'y habituer pour peu qu'on soit décidé à y rester. Elle en vint finalement à apprécier la fraîcheur du liquide sur ses mollets, poussant un grand soupir de satisfaction. Le silence et le calme tant espérés se trouvaient au rendez-vous après le tumulte perpétuel de la grande colonne toujours sur le départ. Les Calmcacil et leurs compagnons de route vivaient au rythme des équidés et ceux-ci ne restaient jamais très longtemps au même endroit. L'existence était rude, spartiate, exigeante, laissant peu le loisir de s'isoler ou de profiter d'un lieu même si celui-ci se trouvait être particulièrement plaisant. Pour autant, Idril ne l'aurait échangé pour rien au monde. Elle s'autorisait juste ces moments de futilité lorsqu'isolée du reste du monde, elle profitait de sa retraite. Lorsqu'elle revenait de ses escapades solitaires, elle était toujours plus à même d'affronter les éventuelles difficultés du voyage. Ou de la vie en communauté. Puisqu'il fallait bien l'avouer, ce n'était jamais Eladar qui provoquait ses envies soudaines d'isolement. Mais il ne pouvait tout abandonner pour suivre sa fantasque petite compagne à chaque fois que celle-ci se piquait de trouver un peu de calme et Idril le comprenait aisément...

Un bruit incongru lui fit soudainement redresser la tête, lui faisant prendre conscience que malgré le calme de l'endroit elle n'était pas seule en ces lieux. La magie de l'instant envolée, elle remonta sur la berge en sifflant sa jument, posant la main sur la garde de son épée courte, prête à toute éventualité. Les contrées d'Ellyrion n'étaient pas réputées pour leur extrême dangerosité. Néanmoins, Idril était parfaitement consciente que des individus peu recommandables parcouraient l'Ulthuann. "Je sais que vous êtes là! Montrez-vous!" L'ordre qu'elle avait voulu impérieux et impressionnant sonna vaguement pathétique dans le silence de la nuit. Se campant sur ses pieds nus et raffermissant sa prise sur la poignée de son arme, l'elfe se prépara à tout...